
Il partage un hommage bouleversant
Simon Boulerice vit présentement l’une des épreuves les plus douloureuses de sa vie. L’auteur, dramaturge et animateur a annoncé la perte d’une personne extrêmement chère à son cœur : son amie Geneviève, décédée à l’âge de 43 ans. Une disparition beaucoup trop prématurée, qui laisse derrière elle un vide immense et une peine difficile à apaiser.
Par le biais des réseaux sociaux, Simon Boulerice a choisi de partager sa tristesse, mais surtout de rendre hommage à une amitié marquante, fondatrice, qui l’a accompagné pendant une grande partie de sa vie.
La rencontre entre Simon et Geneviève remonte à leurs années de secondaire. À cette époque, Simon Boulerice était un adolescent anxieux, en quête de repères, et Geneviève est apparue comme une présence immédiatement rassurante. Dès les premiers instants, elle s’est montrée accueillante, chaleureuse, avec cette capacité rare de faire sentir l’autre en sécurité, simplement par sa façon d’être.

Ce premier contact a marqué le début d’une relation qui s’est rapidement transformée en une amitié solide, sincère et profondément humaine. Même si la vie les a parfois éloignés physiquement, le lien n’a jamais disparu.
Au fil des années, leur amitié s’est enrichie de souvenirs empreints de douceur et de créativité. Les lettres manuscrites, les confidences, les éclats de rire et surtout le théâtre ont joué un rôle central dans leur relation. Ensemble, ils ont partagé la scène durant leur adolescence, vivant ces moments uniques où la fragilité et la passion se rencontrent.
Geneviève était décrite par Simon comme une personne un peu hors du temps, sensible, parfois dans la lune, mais toujours profondément ancrée dans l’émotion vraie. Elle avait cette façon bien à elle d’alléger les situations les plus lourdes, de rendre le quotidien plus doux.
Comme c’est souvent le cas, les années ont apporté leur lot de changements. Les responsabilités, le travail, la famille ont progressivement occupé tout l’espace. Simon Boulerice et Geneviève se sont vus moins souvent, se parlant à distance, se donnant des nouvelles de façon plus sporadique.
Malgré cela, Geneviève demeurait bien présente dans ses pensées. Il gardait le sentiment que cette amitié existait toujours, prête à renaître au moindre signe, comme si les bras de Geneviève étaient encore ouverts, quelque part, dans l’attente.
Lorsque Geneviève est tombée gravement malade, Simon Boulerice n’a pas immédiatement réalisé l’urgence de la situation. Les messages se sont espacés, les occasions de se revoir ont été repoussées, jusqu’au moment où la réalité l’a rattrapé brutalement.
Cette prise de conscience tardive a été accompagnée d’un profond sentiment de culpabilité. Celui de ne pas avoir été là plus tôt, de ne pas avoir saisi la fragilité du temps. Une douleur intime, que beaucoup reconnaîtront, tant elle est universelle dans les histoires de deuil.
Dans les derniers moments de Geneviève, Simon Boulerice a pu lui rendre visite. Un instant suspendu, silencieux, empreint de tendresse et d’amour. Dans cette chambre baignée de lumière, il a pu lui dire tout ce qu’il n’avait jamais cessé de porter en lui : la reconnaissance, l’affection, l’importance immense qu’elle avait eue dans sa vie.
Ce moment, bien que déchirant, a aussi été un cadeau. Celui de pouvoir dire merci. Celui de déposer l’amour, même dans l’absence de réponse.
Voici le message qu'il a partagé sur les réseaux sociaux :
Geneviève (1982-2025)
« Comme si c’était cela la mort : tous les instants enfin réunis. »
- Gabrielle Roy
Certaines personnes sont nées pour ouvrir leurs bras et accueillir quiconque a besoin de s’y déposer.
Geneviève était l’une d’elles.
C’est le souvenir que je conserverai toute ma vie : moi qui entre tout fébrile et anxieux à l’école secondaire Pierre-Bédard, et Geneviève, les bras vastes comme son sourire. L’air de me dire : tout ira, je suis là.
Je dois dire la vérité : nous nous connaissions un peu, Geneviève et moi. À trois reprises, nous nous étions parlés au téléphone, avant notre rentrée scolaire en septembre 1994.
Nos sœurs, Karyna et Vicky, étaient amies et nous avaient mis en contact. Elles avaient pavé la voie, espérant une amitié entre nous. Mais les amitiés manigancées fonctionnent rarement.
Pas nous. Une bouture de l’amitié de nos sœur, transplantée dans notre propre terrain de jeu à nous. Les racines ont pris instantanément.
Passons au tu, car c’est surtout à toi, Geneviève, que je m’adresser.
Je suis entré tout fragile, j’ai vu tes bras s’ouvrir et tu m’as dit : « C’est moi, Geneviève! On se voit enfin en vrai! »
J’avais vu des photos de toi, mais elles n’arrivaient à la cheville de ta beauté. La lumière dans tes yeux pétillants, tes fossettes, pas sur les joues : en haut de tes joues. Des fossettes, normalement, ça met le sourire en exergue, entre guillemets.
Toi, tes fossettes, c’étaient presque à la hauteur de tes yeux. Je peux pas le dire autrement : je t’ai vu et tu m’as fait du bien. Tu m’as apaisé. J’ai su que j’aurais une amie ailleurs qu’à St-Rémi. Une amie de St-Isidore, la ville natale de mes cousines.
Ton amitié m’a rendu important. Je me trouvais tellement cool d’être ton ami, et de pouvoir le dire haut et fort, comme une carte cachée. Ton amitié me mettait en sureté. Tu étais aimée de tous, alors par ricochet, je me sentais protégé. J’avais un passe-droit, une forme d’indulgence de ceux qui ne m’auraient pas aimé d’emblée.
Tu as adouci tout mon secondaire. Ta bonté, tes rires, tes bras, ton parfum Mûres sauvages de Dans un jardin, tes lettres sur des feuilles mobiles. Celles que tu pliais de manière typique, en rebattant un coin dans une fente créée à force de pliage. L’origami de nos années 90.
Ta calligraphie dodue et joviale, une écriture joufflue et pétillante, parsemées de points d’exclamation inopinés, de fautes d’orthographes divertissantes. Ton honnêteté à tout crin. Ta tendresse. Ton appétit de la vie.
Quand tu venais chez moi, tu t’extasiais devant la dépense de mes parents; ma mère qui remplissait à ras-bord les armoires de chips, de biscuits, de barres tendres. L’opulence te fascinait. Quelques années plus tard, je suis débarqué dans ta dépense à toi, maintenant que t’étais mère à ton tour, et j’ai été soufflé par les formats familiaux, les formats jumbo dignes de Costco. Tu avais réussi cette opulence. T’avais contré cette peur de manquer de quelque chose.
Ce qui nous a liés le plus serrés, c’est peut-être le théâtre.
En secondaire 5, on joue ensemble dans Bousille et les Justes de Gratien Gélinas. Le soir de la première (et de l’unique représentation), tu as un blanc sur scène. Tout le monde attend ta réplique qui ne vient pas. Je te regarde en coulisse, étonné de ton silence. Je ressens ton vertige et je ne sais pas comment t’aider. Tu me rejoins en coulisse et tu me dis : « Sauve-moi! »
Je te souffle la réplique. Tu reviens sur scène pour la dire : « Est-ce que j’ai bien entendu? » Tu dis la phrase maintenant hors contexte, une heure dans les maritimes. « Est-ce que j’ai bien entendu? » Le public rit d’étonnement. Moi, je ris de tendresse. Vingt-six ans plus tard, je trouve que ça te représente bien. Toi toujours un peu décalée, sur ton nuage, à la fois évanescente, presque flottante, au-dessus du marasme ambiant, et en même temps tellement incarnée.
Puis, la vie étant la vie, on s’est perdus de vue.
J’ai été avalé par le travail, toi par ta famille.
Chacun dans son vortex. Mais je m’ennuyais de toi. Et je pensais souvent à toi.
Je prenais des nouvelles de mes amis de la Montérégie paresseusement, via Facebook. Mais voilà : toi, tu n’y étais pas.
J’étais à l’extérieur de ton quotidien, même si je sentais qu’en étendant à peine les bras, je pourrais atteindre l’étendu des tiens.
Tu es tombée malade, tu t’es rétablie un peu, puis tu es retombée malade, et je ne te voyais pas.
Cet été, en août dernier, je croise Karyna dans un party. Je demande de tes nouvelles et ton texto.
Je t’écris que je m’ennuie de toi. Tu me réponds : « Mon beau Simon, si jamais tu as du temps libre dans ta vie trop occupée, fais-moi signe. On s’organise une petite sortie d’amoureux. » Puis, tu m’invites à te relancer avec mes dispos.
Mais la vie étant la vie, j’ai tardé à te répondre. J’ai embarqué sur un tournage, et un jour, trois mois plus tard, j’apprends que ça ne va pas. Que j’ai trop tardé.
Je m’en veux, je me trouve con et égocentrique. Je me rends au CHUM, te voir, comateuse. Je parle à Karyna de ma culpabilité de ne t’avoir pas relancée à temps.
Mais Karyna, bienveillante, me dit : « Tu l’as, présentement, ta date. »
Et elle me fait un cadeau. Pendant près d’une heure, Carmen et elle doivent aller parler à la médecin. Elles me laissent seul avec toi dans ta chambre lumineuse. En quittant la pièce, elle me dit : « Gêne-toi pas pour lui caresser les cheveux, Simon. Elle ressent la tendresse. »
Je passe la main dans tes cheveux bouclés, sur ta peau qui a toujours été tellement douce… Et j’ai tout le temps pour te dire ce que j’ai sur le cœur de gratitude et d’amour pour l’amie que tu as été, et que tu seras éternellement.
Merci, Geneviève, pour tes bras tendus.
Notre amitié, même manigancée, a fonctionné.
Ses racines sont profondes en moi.
À travers son témoignage, Simon Boulerice ne parle pas seulement de la mort de son amie, mais surtout de la vie qu’elle a offerte aux autres. Il rappelle combien Geneviève était une personne lumineuse, généreuse, dotée d’une bonté qui dépassait les mots.
Son hommage est à l’image de leur amitié : délicat, sincère et profondément humain. Un rappel bouleversant que certaines personnes, même lorsqu’elles quittent ce monde trop tôt, continuent de vivre à travers les racines qu’elles ont laissées dans le cœur de ceux qu’elles ont aimés.
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